Jean-Paul Pasqualini, dit El Korsico

Publié le 24/09/2011

Interview réalisée pour MaaxPoker.com en Juillet 2009

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Jean-Paul Pasqualini, dit El Korsico, vient d'un autre temps, d'un autre monde. Il arrive d'une époque où le poker se jouait fermé, dans les sous sols des bars ou chez des particuliers. Le métier de joueur professionnel était réservé à une élite, des joueurs avisés à la recherche de bonnes parties ou les commerçants venaient avec beaucoup d’espèces. Les joueurs se connaissaient tous et respectaient entre eux des règles d'éthique stricte.

Pourtant Pasqualini a su suivre le courant, quand celui-ci a tourné. Il est devenu El Korsico pour mieux suivre l'arrivée des masses Online, tout comme un vieux requin sait se fondre dans l'onde pour suivre des yeux un banc de poissons frétillants. Voici l'interview d'un des meilleurs joueurs Online et Live français.

El Korsico depuis combien de temps tu joues Online alors?

Je joue online depuis 3 ans.

J'ai fait une très mauvaise première année, durant laquelle j'ai joué à un peu toutes les limites, toutes les variantes, sans vraiment maitriser encore les formes modernes du poker. J’ai perdu beaucoup d’argent si on compare avec ce que les gens gagnent ou perdent généralement sur le net, mais il faut dire aussi que c’est très faible si on compare avec les belles tables en Live. Je jouais parfois en Live jusqu’en NL20000 voir plus, alors les parties sur internet étaient surtout pour moi des moments de récréation.

C’est marrant un Corse qui joue au Poker, en tout cas tu es le seul que je connais.

Détrompe-toi, la Corse a d’excellents joueurs de Poker et le jeu y tient depuis longtemps une très grande place. On a jamais rien eu à envier au continent dans ce domaine. Je me souviens ’il y a 20 ans, on était 3 ou 4 joueurs professionnels à jouer dans les plus grosses parties de l’ile, et très franchement, on était au niveau, voir meilleur que les meilleurs joueurs parisiens.

Mais tout a beaucoup évolué, a commencer par l’état d’esprit. Avant les gens étaient fiers de perdre beaucoup d’argent dans les grosses parties en Corse. C’était la preuve qu’ils brassaient beaucoup d’argent. Ils te disaient « Regarde-moi, cette année j’ai perdu 50K, 100K », et ils perdaient sereinement des coups énormes, parce qu’ils en avaient les moyens. Aujourd’hui le système est devenu beaucoup plus compétitif, il faut gagner à tout prix. C’est mal vu de perdre au jeu. Tout de suite on va te prendre pour un loser. Alors que finalement, il y a de la noblesse a savoir perdre. Il y a même une certaine beauté à jouer un jeu désintéressé, sans se soucier de l’issue du coup. En dehors de ça, il y a aussi beaucoup moins de liquidités. Avant les commerçants brassaient beaucoup plus d’argent en espèces parce qu’ils faisaient plus de travail au noir. Cette argent partait souvent dans le jeu. Aujourd’hui le système est beaucoup plus contrôlé, les belles tables en Corse se font plus rares.

Comment tu es passé du Poker fermé au Texas Holdem ?

J’avais 20 ans de poker fermé derrière moi. Et 20 ans, ce n’est pas rien comme expérience. Je n’avais pas tellement envie de m’y mettre à cette nouvelle variante, ça voulait dire tout reprendre à 0. Au poker fermé j’avais vraiment eu le temps de développer un jeu très fin. Alors j’ai attendu. Je voyais les gens se détourner des parties ou je jouais. Je jouais de moins en moins. Au début je pouvais jouer tous les soirs a des jolies tables. Et puis peu a peu c’est devenu 3, 4 fois par semaines, 1 ou 2 fois, puis plus rien du tout quasiment. C’est la que je me suis dit qu’il était temps de passer a autre chose. D’arrêter de nager a contre courant disons.

Alors tu m’as dit, tu as eu une première année difficile et ensuite ça c’est passé comment?

Deuxième année j’ai tout repris à 0. Je suis donc allé en NL200, et je me suis mis à jouer vraiment sérieusement. Je me suis penché sur le jeu et j’ai arrêté de perdre, sans toutefois devenir gagnant. Je suis arrivé en 3-6 et j’étais tout juste even. Puis peu à peu, c’est venu. J’ai commencé à me sentir à l’aise sur les tables et a m’amuser un peu. J’en ouvrais même plusieurs à la fois, notamment dans les petites limites comme la NL400. Je me souviens notamment avoir joué Mamourm sur ses minis tables. Je le rendais fou. Je venais le voir et je jouais 5 ou 6 mains en lui prenant 150, 200$ et puis je le laissais a sa table, j’allais voir ailleurs. J'avais remarqué qu'il tiltait énormément sur les hit and runs, du coup j'avais adopté cette stratégie contre lui. Je revenais le lendemain et je recommençais. A la fin il allait jusqu'à m’insulter quand je m’asseyais à sa table. Maintenant on est ami, c’est une des personnes que j’apprécie réellement sur le réseau Ongame.

Ça a du te changer du monde du poker fermé le poker online.

Oui, c’est vrai que ça n’a rien à voir. Online on trouve des profils extrêmement différents de ce qu’on retrouve dans les cercles par exemple. Ça m’a permis de faire de jolies rencontres d’ailleurs. Il y a eu Tons26, coach087, Clem2511, raver44, mafiadu42 et airmax69 notamment. C’est eux qui me viennent tout de suite a l’esprit, de très bons joueurs et en plus de ça très sympathiques.

Comment es-tu devenu joueur professionnel de Poker? Aujourd’hui ce n’est pas un choix évident, mais il y a 20 ans ça l’était encore moins je me doute.


Il y a 20 ans on ne disait pas joueur professionnel de poker. C’est un mot relativement nouveau en France. Je sais qu’en Corse on disait simplement: « Il joue au poker ». C’était un moyen de gagner sa vie mais en aucun cas une profession.

Ensuite j’ai découvert le poker à la faculté. J’étudiais les mathématiques en vue de devenir enseignant et quelques-uns de mes amis se livraient régulièrement a des parties en privée. La première partie à laquelle j’ai participé c’est moi qui l’ai organisé, c'était en 1979. Je me souviens encore, j’avais un papier sur les genoux avec les différentes combinaisons gagnantes. Le jeu m’a plu tout de suite. Ensuite j’ai joué de plus en plus en accédant peu à peu à de meilleures parties. Après ça va vite, j’ai commencé à être un petit peu connu dans le milieu et on m’invitait à des tables plus intéressantes.

Au bout d’un moment t’as pas trouvé que la Corse c’était un peu restreint pour toi, en tout cas pour jouer au poker ?

Il y a Nice, Monaco et Cannes qui ne sont pas si loin. En Corse on parlait beaucoup des plus belles parties qui se jouaient la bas, ça devenait comme un mythe tout cet argent facile dans des endroits magnifiques. J’ai quitté la Corse et je suis allé jouer dans ces grandes villes. C’était un peu ma ruée vers l’or. Et c’est sur le continent que j’ai vraiment assis ma réputation. Je jouais dans de très belles parties contre des gens qui n’avaient pas peur d’essuyer de grosses pertes. Du Sud je suis remonté vers Paris qui avait aussi son lot de joueurs. Je me souviens avoir participé à quelques parties avec des célébrités. Quelques belles parties avec Yves Montand notamment, un garçon très sympathique et pas mauvais du tout en plus.

Dix ans après je suis revenu en Corse. J’avais poursuivi un rêve de la Croisette jusqu'à la capitale, et je suis rentré chez moi à Bastia pour boucler la boucle. En Corse j’étais devenu quelqu’un dans le monde du jeu. Durant mon absence, les histoires avaient circulé sur mon compte. Peu à peu un mythe c’était crée, comme c'est souvent le cas autour des gens qui ont réussi dans un domaine et sur lesquelles on a peu d'informations. Avant de partir finalement, je ne connaissais pas tellement de gens dans le milieu, j’avais quitté l’ile précocement. En rentrant, des gens que je ne connaissais pas venaient me saluer avec respect quand ils apprenaient mon nom.

En 20 ans de Poker t'as du en voir des mauvaises passes et des périodes fastes?


On parle beaucoup de bad runs et de variance au poker et il y a beaucoup de joueurs qui ont parfois de très mauvais mois, voir qui arrivent à se broke en très peu de temps. Personnellement j'ai toujours eu une excellente gestion de bankroll, ça va te paraître incroyable mais depuis que je joue je n'ai jamais eu un seul mois négatif. Donc pas vraiment de mauvaises passes. En revanche j'ai eu quelques périodes fastes, oui. Mais c'est surtout dépendant des belles parties que j'ai pu trouver.

Tu t’occupes aujourd’hui du Poker pour le Casino Croisette a Libreville au Gabon, ça ce passe comment ?

Le Casino est splendide, c’est vraiment un cadre tres agréable. Je rends en fait un service à un ami qui m’a demandé de l’aide pour faire décoller sa poker room.

Au début quelques libanais jouaient dans de grosses parties. Mais après avoir essuyés de grosses pertes ils ont décidé d'arrêter de jouer. Du coup j’ai du tout reprendre au point de départ, en ouvrant pas mal de petites tables. Aujourd’hui il y a donc beaucoup moins de tables high-stakes, même si on peut en monter une sur demande sans aucun problème. Le jeu n’est pas très bien vue au Gabon, en tout cas chez les locaux. Les pauvres n’en ont pas vraiment les moyens et les riches ont une éthique qui les empêche de se livrer à ce genre de loisirs. Du coup la grande majorité des clients est étrangère.

T'as eu l'occasion de faire quelques gros tournois en Europe j'ai vu, ça c'est passé comment?

J'ai fait 2 fois l'EPT Barcelone en 2007 et 2008, les deux fois ITM. J'ai fait ITM aussi à l'EPT MonteCarlo. La structure de l'EPT Monte Carolo est vraiment incroyable, 20000 jetons, levels de 1h30. A Monaco je suis resté dans les dix premiers pendant presque tout le tournoi, jusqu'à un joli bad beat QQ contre TT. J'ai eu l'occasion de jouer contre Annette Obrestad un des plus beau coup de ma carrière. C'était à Monaco. Je l'avais vu relancer un petit peu avant de m'asseoir à la table avec 45os UTG, et faire quinte au turn et prendre tous les jetons de son adversaire qui avait un brelan de rois. Dans ce coup là on avait respectivement 45 et 50K environ, je call sa relance utg du cut-off avec

et le bouton squeeze. Elle call et je call aussi derrière parce que j'ai largement la profondeur pour aller chercher un brelan. Le flop arrive
. Annette check et je check derrière. Le bouton mise. Le Turn arrive, c'est une carte sans importance. Annette check encore, et je check derrière en espérant que le bouton mise une deuxième fois. Seulement il check behind. La river vient, c'est un deuxième
. Et là Annette mise 23K dans le pot à 20K. Je réfléchis, et je me dis qu'il y a peu de chances qu'elle fasse ça avec la flush, elle sera payé seulement par mieux. Je me dis qu'elle q surement 9T et je suis à deux doigts de me coucher. Finalement je call seulement et elle a
. Quand je lui ai montré mon jeu elle était choquée de voir que je n'avais pas raise la river.

Tu jouais pas mal au cercle Wagram en France si je me souviens bien, c’est ton cercle préféré à Paris ?

Oui, je m’y sens très bien. Il y a beaucoup de Corses qui travaillent là-bas, donc forcément ça crée des liens. J’y ai pas mal d’amis et puis je connais les jeunes, ceux qui se lancent sérieusement dans le jeu. Je suis quelqu’un qui aime bien parler et je suis vraiment passionné par le poker, alors les gens me demandent souvent conseil et c’est toujours pour moi un plaisir de leur répondre.

Si tu devais donner un conseil aux jeunes qui se lancent ce serait quoi ?


Il ne faut pas bruler les étapes. Ça ne sert a rien de vouloir passer pro comme ça du jour au lendemain alors que les résultats ne sont pas encore la. Il faut être patient et la gestion de bankroll est a mon avis un passage incontournable pour monter les échelons. Par la gestion de bankroll, je ne veux pas dire forcément ne prendre aucun risque, car si on joue au poker c’est qu’on accepte une certaine part de risque. Mais il faut apprendre à contrôler ce risque, à le gérer. Je me souviens quand j’étais jeune m’être retrouvé sur des tables après avoir joué 3 ou 4 jours de suite sans dormir. La on se retrouvait a des profondeurs de tapis extraordinaires, 10 ou 15 caves parfois. Quand tu joues un gros coup, je t’assure qu’il ne faut pas commettre d'erreur. Un bon joueur doit savoir prendre des risques, mais modérés.

Et il faut aussi beaucoup parler, échanger sur les mains. Personnellement je ne suis jamais passé par les livres, je n'ai pas eu de coach non plus, d'ailleurs je regrette un peu. Mais discuter d'un coup avec des amis ou des connaissances qui savent de quoi elles parlent, ça a été fondamental dans ma progression.